Le 14 Mai 1941: la "rafle du billet vert"
Ce vendredi 12 mai 2023, en présence de M. le Maire de Paris Centre, Ariel Weil, de l'adjointe à la mémoire de Mme la Maire de Paris, Mme Laurence Patrice, des élus de l'arrondissement et de la circonscription, parmiu lesquels M. le député Julien Bayou, a été dévoilée une plaque à la mémoire des 3710 hommes arrêtés lors de la rafle du "Billet vert", le 14 Mai 1941, par la police française sur odre de l'occupant nazi.
Nombre d'entre eux furent rassemblés à cette adresse, puis internés dans les camps du Loiret avant d'être déportés à Auschwitz pour y être exterminés selon les plans nazis.
L'AFMA était présente à cette commémoration
Abdel Sadi, Maire de Bobigny, Conseiller départemental,
Emma Deveau, Déléguée à la mémoire, aux anciens combattants et au tourisme,
le conseil municipal,
l'Association fonds mémoire d'Auschwitz (AFMA)
ont le plaisir de vous convier aux cérémonies républicaines dans le cadre de la journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation
Samedi 29 avril :
- 14 h Cérémonie au cimetière communal
- 14 h 30 Départ en car - Rendez-vous place Rabin-Arafat
- 15 h Cérémonie à la gare de Bobigny - Grande halle des Marchandises
Allocution de Bernard Grinfeld, Président de l'AFMA (voir ci-dessous)
Allocution et lecture du Message national 2023 des associations de déportés par M. Thierry Bercover, Président de l'AFMD
Allocution de Abdel Sadi, Maire de Bobigny
Témoignage de Jean Golgevit, lecture de textes par deux jeunes et chants d'Eva Golgevit - 15 h 45 Moment de recueillement
Allocution de Bernard Grinfeld, Président de l'AFMA:
Conformément à la loi de 1954, nous sommes réunis pour «célébrer la commémoration des Héros, victimes de la déportation vers les camps de concentration». Comme chaque année, fidèles à une longue tradition, nous rendons hommage à toutes celles et ceux qui, avec l’aide servile des autorités de Vichy ont été internés, déportés puis utilisés comme esclaves au service de l’économie de guerre nazie dans des camps dits de «la mort lente», ou assassinés dans des centres industriels de mise à mort. Ils étaient classés en 7 catégories plus ou moins "indésirables" aux yeux des nazis: Les Juifs, les Tsiganes, les asociaux, les Témoins de Jehovah, les Homosexuels, les droits communs, les politiques. De fait, il suffisait d’appartenir à l’une de ces catégories ou de manifester des sentiments d’avoir un geste un tant soit peu hostile pour être arrêté. Les handicapés, les Francs-maçons, les résistants, les réfractaires au STO ou ceux et celles qui contribuèrent à sauver des enfants ou à participer à des filières d’évasion, s’exposaient aux mêmes conséquences et connurent l’enfer de l’univers concentrationnaire. Les républicains espagnols n’y ont pas échappé.
Au delà des chiffres qui sont accablants, il s’agissait d’Hommes, de Femmes et même d’enfants qui portaient un nom, qui avait une histoire et que la grande Histoire ne doit pas oublier.
Il y a 80 ans, en France, après l’unification des mouvements de la Résistance (MUR), les forces clandestines se rassemblent au sein du Conseil National de la Résistance (CNR) dont la première réunion se tient le 27 mai 1943 rue du Four, à Paris. En prévision de la Libération, tous les services du Noyautage de l’Administration Publique (NAP), fusionnent. Ils sont notamment chargés de la confection des faux papiers dans les préfectures, des écoutes téléphoniques aux PTT, du sabotage à la SNCF, de l’évasion des agents et du sauvetage des proscrits, etc…
L’esprit de la Résistance n’avait pas cessé de se développer depuis les premières fusillades d’ «otages», de résistants et de patriotes. Il s’était encore renforcé après l’occupation de la zone libre, les premières défaites nazies en Afrique du Nord, à Stalingrad et l’instauration du STO. Il imprégna durablement la société Française après la guerre. Encore aujourd’hui, la lutte continue pour sauvegarder les acquits sociaux de cette période.
Notre reconnaissance va aussi à tous ces hommes et ces femmes qui, au péril et parfois au prix de leur vie ont apporté leur pierre au combat contre les nazis et leurs complices ou à la solidarité avec leurs victimes.
Nous tenons également à rendre hommage aux femmes qui furent internées tout près d’ici, au fort de Romainville et dont certaines furent déportées à Ravensbrück par le convoi des 31000.
À Varsovie aussi, la Résistance Juive s’unifie, en juillet 1942, au sein d’un « bloc antifasciste » et se dote d’une branche armée : l’Organisation Juive de Combat (OJC).
Nous rendons hommage à ceux et celles très nombreuses, qui se sont soulevés et se sont sacrifiés, il y a 80 ans, dans le Ghetto pour la dignité humaine et la liberté. Mais aussi pour révéler au monde entier, dès le mois d’août 1942, non seulement l’horreur de leur vie quotidienne mais aussi la réalité de la destruction systématique de tout un peuple.
En France les résistants étrangers furent très sensibles aux informations venant de Varsovie. Ils les avaient captées soit directement de Pologne, soit par le truchement de la BBC. Ils les diffusèrent largement par les moyens clandestins qui étaient les leurs. Ce qui leur permis de mieux mobiliser les combattants.
Nous avons une pensée particulière pour eux. Ceux des FTP/MOI, du groupe Manouchian, de l’affiche rouge, qui multiplièrent les attaques. Elles culminaient au rythme de 2 par jour en 1943ils tombèrent en novembre et furent exécutés le 21 février 1944.
Aujourd’hui, le Mémorial de l’ancienne gare de déportation nous réunit à nouveau. Ce sont des Juifs uniquement qui sont partis d’ici, beaucoup ont été gazés directement en arrivant à Auschwitz-Birkenau ou Sobibor. Sur les plaques métalliques qui symbolisent chaque convoi de la solution finale parti de France, vous pouvez lire la destination, le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants. Le plus jeune d’entre-eux, Adam Blomberg, avait 14 jours. À la Libération, seuls 3% d’entre-eux revinrent parce qu’ils ou elles eurent la «chance» d’être sélectionnés pour le travail forcé et de survivre à la faim, au froid, à la maladie et aux marches de la mort.
Monsieur le Maire, vous connaissez l’attention que nous portons au succès du Mémorial de Bobigny. Nous faisons toute confiance à sa directrice Adèle Purlich et à son équipe. Notre association participe à la commission mémoire de l’ONAC-VG, ainsi qu’au jury départemental du Concours National de la Résistance et de la Déportation (CNRD). Nous travaillons, de plus en plus, en liaison avec le Département, les autres collectivités publiques ainsi que les associations mémorielles. D’ailleurs, symboliquement nous déposerons aujourd’hui, ici, et demain, au fort de Romainville, une gerbe commune avec nos Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation.
Bien entendu nous ne manquerons pas l’inauguration du 18 juillet prochain.
Avant cela nous serons également ici-même, ensemble,le 25 mai prochain, pour remettre les prix du CNRD et pour assister à la conférence de Tal Brutmann sur l’Album d’Auschwitz.
Par ailleurs, nous projetons également de mettre en place, dans les semaines qui viennent une association des «amis du Mémorial de la gare de Déportation de Bobigny».
Commémoration du 80ème anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie
L'AFMA sera présente à la commémoration organisée par la Mairie de Paris, aux côtés des autres organisations juives, pour rappeler l'exemple de l'esprit de résistance et de l'unité des énergies face à la terreur criminelle nazie.
En avant première, nous vous livrons l'article qu'a bien voulu nous livrer l'historienne Zoé Grumberg:
Quel a été l’impact du soulèvement du ghetto de Varsovie dans le monde juif en France pendant la Seconde Guerre mondiale ? Comment ce soulèvement a ensuite été commémoré par les Juifs de France à l’issue de la guerre ?
C’est en tant qu’historienne spécialiste du secteur juif du Parti communiste français (PCF) après la Seconde Guerre mondiale que j’interviens aujourd’hui : les Juifs communistes ont donc logiquement une place importante dans mon propos, même si je tâche de prêter la même attention aux mouvements non-communistes.
Pendant la guerre
Les premiers échos du soulèvement du ghetto de Varsovie se font entendre dans le monde juif de France à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai 1943, par le biais de Radio Londres et plus particulièrement du service polonais de la BBC. D’après Adam Rayski, responsable de la section juive du PCF sous l’Occupation, la diffusion sur Radio Londres aurait été retardée en raison des tractations entre le gouvernement polonais en exil et les autorités britanniques qui souhaitaient préalablement vérifier les informations(1).
Pour l’ancien résistant, cela s’expliquerait par la tendance des gouvernements des pays alliés à se méfier des soulèvements et révoltes non coordonnées avec leurs objectifs stratégiques ou politiques. Plus généralement, l’effet du soulèvement du ghetto de Varsovie paraissait limité sur le plan militaire et n’était pas de nature à changer le cours de la guerre : cela n’était donc pas au cœur de leur communication. Pour le monde juif, en revanche, cet événement revêtait une signification symbolique et morale très forte, ce que les organisations juives ont très vite compris. L’historienne Renée Poznanski date du 1er mai la première allusion à la résistance des Juifs du ghetto de Varsovie dans un numéro du journal juif communiste Notre voix(2).
Les informations étaient alors parcellaires et c’est dans les jours et semaines à venir, parallèlement à l’écoute des émissions de la BBC, qui donnaient des informations de plus en plus précises sur le déroulement des évènements, que les organisations juives de Résistance ont commencé à publier plus abondamment sur le soulèvement du ghetto de Varsovie. Parmi les plus actifs, on trouve les Juifs communistes au premier rang desquels l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (l’UJRE), qui consacre ses journaux clandestins (Undzer Wort, Notre Voix, Jeune Combat) au suivi du soulèvement du ghetto de Varsovie et le mentionne dans de nombreux tracts. Le Mouvement national contre le racisme (MNCR), proche de l’UJRE, diffuse et commente le soulèvement du Écho et mémoire du soulèvement du ghetto de Varsovie dans le monde juif de France pendant et après la guerre.
“La presse clandestine était donc centrale pour obtenir de vraies informations sur l’évolution de la guerre et le sort des Juifs”
ghetto de Varsovie dans des numéros spéciaux de ses journaux J’accuse, Fraternité, Combat Médical notamment.
Les communistes ne sont toutefois pas les seuls à en parler dans leurs journaux : en septembre, le mouvement Poalé Tsion gauche, un mouvement sioniste marxiste, consacre ainsi le premier numéro de son journal en yiddish Arbeiter Zeitung, aux insurgés du ghetto de Varsovie.
Si tous les mouvements n’avaient pas de journaux clandestins, ce qui ne permet pas toujours de savoir s’ils relayaient telle ou telle information, le soulèvement du ghetto de Varsovie est un événement central pour toutes les organisations juives de France qui cherchent à en parler et à diffuser l’information par divers biais. Pourquoi les organisations juives de Résistance ont-elles fait une place importante à cette nouvelle et quel était leur objectif en essayant de la diffuser au plus grand nombre ?
Il faut rappeler que pendant la guerre, les Nazis cherchaient à dissimuler toute information sur le sort réservé aux Juifs à l’Est de l’Europe. De plus, les Juifs étaient théoriquement privés de postes de radio et donc ne pouvaient pas, sauf s’ils possédaient clandestinement une radio, se tenir au courant par le biais de Radio Londres par exemple. La presse clandestine était donc centrale pour obtenir de vraies informations sur l’évolution de la guerre et le sort des Juifs. Toutefois, la presse clandestine non-juive accordait peu d’importance à l’extermination des Juifs. En comparant la presse clandestine non-juive avec les émissions de Londres et avec les journaux des organisations de résistance juives, l’historienne Renée Poznanski a montré que la situation des Juifs n’a jamais été la priorité de la Résistance française(3).
Les organisations de résistance juives devaient donc en parler elles-mêmes et c’est d’ailleurs ce qu’elles faisaient, en tâchant d’alerter les Juifs sur la situation à l’Est et sur la nécessité de fuir et de se cacher. Mais le soulèvement du ghetto de Varsovie a eu une place très particulière dans la presse clandestine juive. En parlant du soulèvement du ghetto de Varsovie, la presse clandestine juive et particulièrement la presse juive communiste avait trois objectifs. Le premier objectif était de faire prendre conscience à la population juive du sort qui les attendait à l’Est.
Les Juifs communistes, en particulier, avait diffusé très tôt des informations sur ce qu’il se passait à l’Est. Mais lorsqu’ils parlaient des rumeurs autour de l’existence de gaz asphyxiant, y croyaient-ils eux-mêmes ? Et que croyaient la population juive ? On peut tout à fait savoir quelque chose, sans toutefois y croire. Ce que montrait le soulèvement du ghetto de Varsovie, c’est que des hommes et des femmes étaient prêts à se battre et à perdre la vie dans des combats, plutôt que d’être déportés.
La déportation ne menait donc pas à des prétendues « camps de travail » mais à la mort, dans la plupart des cas. Répression du soulèvement du ghetto de Varsovie par la Waffen SS. Le deuxième objectif de la presse clandestine juive de France était de mobiliser les masses juives dans la lutte contre l’occupant. Undzer Wort écrivait ainsi en juin 1943 : « Les Juifs de Varsovie ont fait la seule constatation logique découlant de leur martyre : se résigner, attendre, rechercher des compromis, menaient inévitablement à la disparition ».
En faisant entendre les cris des Juifs insurgés du ghetto, il s’agissait donc autant de leur rendre hommage que de faire prendre conscience aux Juifs de France de l’importance de la lutte, peu importe la forme qu’elle pouvait prendre (pour les communistes, notamment, cette lutte se devait d’être armée, un point de vue que ne partageaient pas toutes les organisations juives).
Alors que les Juifs étaient menacés dans les existence tant individuelle que collective, et que la clandestinité et la situation de la guerre pouvait conduire à l’éparpillement et au repli sur soi, les organisations juives appelaient à la mobilisation collective. Les Juifs communistes n’hésitaient pas, dans ce contexte, à faire référence à l’existence nationale du peuple juif, en inscrivant le soulèvement du ghetto de Varsovie dans la continuité de luttes du peuple juif pour une existence nationale indépendante(4).
Renée Poznanski rappelle que cette référence à l’existence nationale du peuple juif pouvait avoir un objectif militant pour les Juifs communistes, qui cherchaient à galvaniser tous les Juifs de France. Mais elle révèle aussi la conscience des Juifs communistes qu’un tournant semblait s’être produit dans l’histoire du peuple juif, ce qui les conduisait à des accents nationalistes qu’ils rejetaient jusqu’alors.
Enfin, le troisième objectif poursuivi par les organisations juives était l’unité. Au printemps 1943, le monde juif était en pleine réorganisation politique. Des négociations avaient lieu entre diverses organisations juives yiddishophones : sionistes, bundistes et communistes. Comme l’explique Renée Poznanski, « les nouvelles du ghetto semblent avoir eu un impact direct sur leur résultat(5) ». Les bundistes, initialement hostiles à tout accord avec les communistes, auraient en effet changé d’avis à ce moment, à la suite des échos du soulèvement héroïque du ghetto de Varsovie, fruit de l’union de plusieurs forces politiques initialement concurrentes. Les négociations ont ensuite donné lieu à la création du Comité général de Défense (CGD), premier pas vers l’union de toutes les forces juives de France dans le Conseil représentatif des Juifs de France (CRJF, qui devient après-guerre le CRIF).
Prise de conscience, mobilisation, unité, tels ont été les impacts du soulèvement du ghetto de Varsovie dans le monde juif de France pendant la guerre. En donnant l’image d’un peuple juif héroïque, les insurgés du ghetto de Varsovie ont non seulement lutté pour leur vie mais aussi pour l’existence collective du monde juif, pour sa dignité et pour la liberté. “le troisième objectif poursuivi par les organisations juives était l’unité. Au printemps 1943, le monde juif était en pleine réorganisation politique” Rue Nowolipie à l'intersection avec la rue Smocza, ghetto de Varsovie.
Après la guerre
Comment le monde juif de France a-t-il commémoré l’insurrection du ghetto de Varsovie après la guerre ?
Comme l’a montré l’historien Simon Perego, auteur d’une thèse sur les commémorations de la Shoah dans le monde juif de France entre 1944 et 1967, la commémoration de la révolte du ghetto de Varsovie était au cœur de la mémoire des Juifs de Paris après la Seconde Guerre(6).
L’insurrection avait une valeur de « mythe », c’est-à-dire un souvenir idéalisé qui exerce une fascination durable sur la conscience collective. Cette commémoration est devenue le rendez-vous le plus important du calendrier juif parisien. Temps fort commémoratif de l’année, elle rassemblait un public nombreux, prenait souvent une forme grandiose avec des discours, des parties artistiques, des intervenants connus. Toutefois, dans le contexte des conflits politiques dans le monde juif, qui ont progressivement conduit à la division du monde juif entre communistes et non-communistes (à partir de 1948 et surtout au début des années 1950), la commémoration du soulèvement du ghetto de Varsovie s’est vite fragmentée.
Après des commémorations communes dans l’immédiat après-guerre, les organisations ont toutes cherché à organiser leur propre commémoration. Cela témoignait non seulement des conflits entre organisations juives mais aussi d’une vision ni unanime ni consensuelle du soulèvement du ghetto de Varsovie. Ce sont surtout quatre grandes commémorations qui avaient lieu : celle du Bund et de l’Arbeter Ring, celle de la Fédération des sociétés juives de France (à tendance sioniste) et des organisations non ou anti-communistes), celle de l’UJRE et des groupements progressistes et, à partir de 1957, celle du Mémorial du martyr juif inconnu.
Malgré cette fragmentation des commémorations, ces dernières partageaient des traits communs. Elles mettaient tout d’abord en avant le rôle des civils révoltés, hommes et femmes. Les femmes ont en effet participé à la lutte armée mais beaucoup d’entre elles ont aussi joué un rôle central dans l’aide concrète aux combattants qu’elles cachaient, hébergeaient, nourrissaient. Les organisations juives soulignaient, deuxièmement, le fait qu’il s’agissait d’une des premières révoltes de ce type pendant la guerre. Elles rappelaient les mérites militaires des combats face à des nazis bien plus nombreux et plus armés. Elles soulignaient enfin que les insurgés ne se battaient pas uniquement avec l’énergie du désespoir mais aussi pour défendre un idéal de liberté et de justice.
On notera un dernier point commun dans ces commémorations : si elles célébraient les hommes et les femmes insurgés, elles accordaient en revanche une place marginale aux femmes dans l’organisation des commémorations. Les femmes ne prononçaient qu’à de très rares exceptions des discours et, lorsqu’elles s’exprimaient, c’était surtout dans la partie artistique des cérémonies. Comme le note Simon Perego, il s’agit d’une division genrée des tâches : aux hommes appartenaient le registre de l’analyse rationnelle et politique dans les discours, aux femmes revenaient le registre émotionnel et esthétique qui s’exprimait dans la partie artistique des cérémonies.
Malgré ces points communs, chaque organisation faisait une lecture partisane du soulèvement. Pour les bundistes, le Bund était le leader et l’inspirateur de l’insurrection, qui s’inscrivait dans l’héritage de l’esprit libertaire des masses ouvrières juives. Les sionistes de gauche, voyaient dans l’insurrection les prémices de la lutte nationale menée par les Juifs pour l’indépendance de leur État. Ils soulignaient le rôle des travailleurs juifs dans l’insurrection et rendaient surtout hommage à l’Organisation juive de combat créée par trois mouvements sionistes de gauche : l’Hashomer Hatsair, le Dror et Akiva. Ils mettaient moins en avant le rôle de l’Union militaire juive des sionistes révisionnistes ou du Betar, leur mouvement de jeunesse. Enfin, les Juifs communistes honoraient leurs camarades morts au combat et valorisaient l’URSS et l’armée rouge en soulignant les liens entre l’insurrection et la victoire soviétique à Stalingrad quelques mois plus tôt. Les Juifs communistes évoquaient aussi les Polonais non-juifs différemment : ils ne leur reprochaient pas leur inaction mais soulignaient au contraire l’aide apportée aux combattants juifs du ghetto par la résistance non-juive ancrée à gauche. L’objectif des Juifs communistes était de montrer que ceux qui ont aidé les Juifs sont aussi ceux qui construisent la nouvelle Pologne socialiste.
Conclusion
Ainsi, le soulèvement du ghetto de Varsovie a joué un rôle central pendant la guerre, comme prise de conscience de ce qu’il se passait à l’Est, comme ou- til de mobilisation des masses juives dans la lutte et dans la Résistance et comme outil de l’unité des différentes organisations juives. Après-guerre, il devient un moment central des commémorations de toutes les organisations juives, chacune avec sa lecture partisane des évènements, malgré le partage de traits communs.
(1) « L’impact du soulèvement du ghetto de Varsovie en France. Extraits de la table ronde organisée par le CDJC le 17 avril 1983 au Sénat », Le Monde Juif, 1993/2-3 (N° 147-148), p. 304-321.
(2) Renée Poznanski, Propagandes et persécutions : la Résistance et le «problème juif», 1940-1944, Paris, Fayard, 2008, p. 510.
(3) Renée Poznanski, Propagandes et persécutions, op. cit.
(4) Ibid., p. 513.
(5) Ibid., p. 512.
(6) Simon Perego, « Pleurons-les : les Juifs de Paris et la commémoration de la Shoah, 1944-1967 ».
Page 2 sur 8