Visite de mémoire en Belgique
complément à l'article paru dans le numéro 102 de la Lettre de l'AFMA
Proposée par l'AFMA, élargissant le cadre des visites commémoratives à Auschwitz ou sur les sites de la déportation en France, une visite de deux jours nous a menés à Malines (ou Mechelen en flamand) est une ville prospère et rivalisant autrefois avec Anvers où l'ancienne caserne du 18ème siècle, la Kazerne Dossin, située à l'intérieur de l'enceinte médiévale de la ville, a été utilisée par la Sipo-SD nazie comme camp d'internement des juifs de Belgique et du Nord de la France.
Le fort de Breendonk «de deuxième ordre», dépassé dès sa conception et encore inachevé en 1914, à 14 kilomètres à l'ouest de Malines, fait partie d'une ceinture de forts, conçue au 19ème siècle, qui devait assurer la défense illusoire d'un «réduit national», possible refuge royal belge à Anvers en cas d'offensive, fut utilisé comme auffanglager, camp de détention où les résistants belges furent soumis aux mauvais traitement et à la torture.
Outre l'effort de remise en contexte de la mémoire que permettent de telles visites il est aussi particulièrement intéressant d'observer l'organisation des lieux de mémoire, leur préservation et la muséographie associée, l'effort pédagogique et la qualité de la présentation par les guides.
La Kazerne Dossin, «Drancy Belge»
Kazerne Dossin – Mémorial, Musée et Centre de Documentation
Inauguré en novembre 2012 par le Ministre-Président de la Communauté Flamande de Belgique, en présence notamment du Roi Albert II de Belgique et de l’ambassadeur de France à Bruxelles, le Centre de Documentation sur l’Holocauste et les Droits de l’Homme remplace l’ancien Musée juif de la Déportation et de la Résistance (MJDR), naguère installé dans une partie de l’ancienne caserne Dossin. est construit en 2012, juste en face de l’ancienne caserne. Le MJDR devient un mémorial et un centre d’études et de documentation. Ce nouvel ensemble a été créé et financé par la communauté flamande.
Le bâtiment neuf fréquenté, comme nous avons pu le voir, par de nombreux groupes scolaires, abrite un musée de trois étages décrivant l'histoire des juifs et des tsiganes de Belgique et de leur traque par les nazis et auxiliaires, de l'organisation de la Kazerne Dossin en camp d'internement destiné, comme Drancy, à rassembler les juifs et constituer les convois ferroviaires pour l'extermination à Auschwitz. La carte des caches par les justes belges est aussi présentée.
Malines se situe à mi-distance de Bruxelles et d’Anvers, les deux villes où réside la grande majorité des Juifs de Belgique, sur la ligne de chemin de fer de Bruxelles à Anvers, un embranchement de la ligne longe la caserne Dossin et se dirige vers Louvain, puis vers l’Allemagne et l'Europe de l'Est.
Le Nord de la France faisant partie du même gouvernement militaire que la Belgique, sous l'autorité du général Von Falkenhausen, les Juifs et les Tziganes arrêtés dans le nord de la France sont eux aussi dirigés à Malines aux mêmes fins1.
L'histoire de chacun des convois est retracée, avec le nombre de survivants; en effet, quelques rares évasions eurent lieu par le fond des wagons mais, fait exceptionnel, le dernier convoi fut attaqué par des résistants et immobilisé, permettant à quelques déportés de sauter du train.2.
Entre le 4 août 1942 et le 31 juillet 1944, 25.482 Juifs et 352 Tziganes de Malines: seize mille Juifs, en majorité des femmes et des enfants, sont gazés dès leur arrivée à Auschwitz; 8.150 déportés mourront du fait de mauvais traitements, dont la totalité des Tziganes.
Au moment de la Libération, on compte environ 1 200 rescapés.
Kazerne Dossin – Camp d'Internement
En juin 1942, l’administration militaire allemande met à la disposition de la Sipo-SD la caserne de Malines et le SS-Sturmbahnnführer Philipp Schmitt, déjà responsable du camp de Breendonk est chargé d’y organiser le rassemblement des juifs et tsiganes et leur déportation à Auschwitz-Birkenau. Le bâtiment de trois étages en forme de quadrilatère avec une grande cour intérieure est une sorte de Drancy en plus petit. La gestion du camp est assurée par une douzaine de SS allemands et autant de SS flamands. Le personnel administratif est composé de prisonniers juifs dont quelques femmes polyglottes destinées à assurer l’accueil.
Dans l’immédiat après-guerre, la caserne Dossin est récupérée par l’armée belge jusque dans les années 80, puis revendue et reconvertie en logements. Une petite partie, située sur l’un des côtés du quadrilatère où se trouve le portique d’entrée, est allouée à l’Union des Déportés juifs de Belgique et au Consistoire israélite de Belgique pour y créer un «Musée Juif de la Déportation et de la Résistance», le MJDR, qui finira par ouvrir ses portes en 1996 avant d'être transféré dans le nouveau bâtiment.3
Si les bâtiments restent ceux de la vieille caserne et du camp, l'aspect actuel demeure à la fois relativement austère mais probablement agréable à vivre car soigneusement restauré.
L'Auffanglager - Fort de Breedonk
Le 29 Aout 1940 le fort de Breendonk est choisi par la Sipo-SD et investi par le SS-Sturmannführer Philipp Schmitt: juifs, communistes, étrangers, puis opposants et résistants de tout bord sont arrêtés et détenus à Breendonk4. En Septembre 1941, aux SS allemands sont adjoints un contingent de SS flamands, en partie tirés des contingents de volontaires Waffen SS flammands, les nationalistes flamands ayant joué la carte de la collaboration dès la première guerre mondiale 5.
De Septembre 1940 à l'évacuation du camp fin Août 1944, près de 500 juifs et 3600 opposants passeront dans le camp.
A partir de la fin juillet 1942, les juifs sont transférés à la Kazerne Dossin et destinés à Auschwitz-Birkenau, les prisonniers politiques sont eux déportés dans des camps de concentration comme Neuengamme, Mathausen, Vught, Buchenwald.
Breendonk a été un camp de travaux forcés, Breendonk-la-Mort, où les prisonniers sont soumis à la faim, aux humiliations, privations, brutalités, sévices et tortures des bourreaux SS allemands ou flammands.
Pour châtiment, après des simulacres de procès dans une salle organisée à cette fin et encore - Auffanglagervisible, ou pour vengeance sur des «ôtages» suite aux actions de la résistance armée, les SS y pratiquent aussi l'exécution de prisonniers du camp, comme le montrent estrade, gibet et poteaux d'exécution encore en place.
Comme ne manqua pas de le rappeler notre guide, les techniques de torture pratiquées à Breendonk sont celles qu'ont pratiquées les dictatures militaires d'Amérique du Sud ou d'ailleurs.
Si quelques tortionnaires furent jugés, plus rares furent ceux exécutés, comme le commandant du camp, Philipp Schmitt. Nombreux furent ceux qui échappèrent aux poursuites, notamment les médecins assistants tortionnaires et falsificateurs de certificats de décès et autres «auxiliaires».
L'arrivée au fort, un jour maussade d'automne, permet malgré tout de noter de nombreux véhicules de visiteurs dont plusieurs bus de groupe scolaires. Chaque année, près de 100.000 visiteurs visitent le fort où furent détenus les résistants et opposants belges. Le bâtiment géré par un consortium sous direction du Ministère de la Défense belge a été réorganisé en 2003 et l'ardeur de notre guide nous rassure sur le souci de faire face aux résurgences néonazies, en Flandres ou ailleurs en Europe, par le témoignage et l'effort pédagogique.
article paru dans le numéro 92 de la Lettre de l'AFMA
La fraternelle compagnie et la logistique remarquablement planifiée de notre camarade Jean-Pierre comme le chaleureux accueil que nous reçûmes spontanément dans les auberges flamandes auront rassurés pour l'avenir, nous lui en sommes reconnaissants.
1 Meinen, Insa. La Shoah en Belgique. Renaissance du Livre: Waterloo, 2012
2 Schram, Laurence. L'Antichambre d'Auschwitz DOSSIN. Éditions Racine: Bruxelles, 2017
3 Szyster, Jo. II - La « Kazerne Dossin ». Presse Nouvelle Magazine, n°309 Oct. 2013, p.8
4 Nefors, Patrialign="left" />
Breendonk 1940-1945. Éditions Racine: Bruxelles, 2005
5 Beyer de Ryke, Luc. Ils avaient leurs raisons: 14-18 & 40-45, La collaboration en Flandre. Éditions Mols: Wavre, 2016