Charles Baron devant son portrait à l'UNESCO, en 2014

 

Le 27 Avril 1945, Charles Baron s'évadait avec son ami Fred Sedel en sautant du train qui devait les amener de Kaufering (Landsberg) à Dachau.

Jusqu'à sa mort, Charles Baron considérera cette date du 27 Avril, où il a renoué avec la vie, comme sa date d'anniversaire.

Extrait de son livre «  Dans la prison de mes souvenirs » décrivant son évasion :

« Don’t cry little Frenchy, don’t cry – Pleure pas, petit français, pleure pas »

Et puis un beau jour, les troupes américaines se rapprochant, ils ont décidé de nous déplacer…. On nous a mis dans des trains, celui dans lequel j’étais, était composé en partie de minéraliers, de wagons sans toit, ce qui m’a sauvé la vie. Le train s’est trouvé bloqué le long d’une forêt, une voie ferrée nous séparait de la forêt. Un train est arrivé dans la nuit, on n’a pas su ce qu’il contenait. Le lendemain matin, le train était parti. Bien plus tard nous avons appris que c’était un train de munitions et qu’il avait été placé de façon que nous soyons un obstacle si les avions américains attaquaient. Un obstacle à ce que les obus aillent plus loin pour toucher les wagons de munitions. Je ne sais pas ce qu’est devenu ce train, le nôtre était Immobilisé.

Mon évasion a été un coup de chance. Je n’avais pas de plan établi, je me trouvais en Bavière une région inconnue. Je parlais un allemand que les Allemands ne connaissaient pas et pourtant nous sommes partis. Nous avons eu une chance incroyable en cette période ou un homme était tué pour moins que rien. Je n’ai jamais vu autant de gens être tué, sans motif. Pour un oui pour un non, les SS tuaient. J’ajouterai non seulement pour un oui ou pour un non, mais pour un peut-être aussi.

Nous avons profité, un copain de déportation et moi-même, d’une attaque américaine ….

on est tombé sur les gars qui étaient devant nous et on a commencé à cavaler. Il fallait avoir le courage de se sauver. Les SS nous gueulaient de rester sur place, les kapos nous disaient de remonter dans les wagons. Nous on cavalait, nous étions quelques uns, pas nombreux mais quelques uns. Avec mon copain, on a cavalé, cavalé jusqu’au moment ou nous sommes arrivés dans une forêt. Nous avions des plaies aux pieds, on s’est lavé les pieds avec de l’eau dans la forêt.

Mon copain, Fred Sedel, qui était médecin avait réussi à obtenir des médecins du camp, une pommade quelconque avec laquelle nous avons enduits nos pieds. Il s’est allongé et s’est endormi. Je me suis allongé à coté de lui, mais je n’ai pas trouvé le sommeil…..

A bout de force, à un moment j’ai eu la tentation de me rendre, il y a un moment, on n’en peut plus. J’avais 18 ans et 8 mois, je n’étais pas un homme aguerri. A cet instant, j’ai vu mon copain qui dormait. S’il y a un principe du camp, c’était que chacun est propriétaire de sa peau, on n’a pas à agir pour lui et je me suis dit si moi je me rends, lui sera repris. Nous n’en avions pas parlé, et il n’avait pas l’intention d'être repris alors je n’ai pas bougé. Les SS qui tournaient, découragés de n’avoir récupérer personne sont retournés vers les wagons. Après ce court repos, nous avons repris notre marche.

Nous sommes arrivés dans un petit village appelé Pestenacker, sur la rivière Lech. On avait faim. J’ai dit à mon copain Fred: » Écoutes, on va voir le curé, s’il ne nous aide pas, au moins il ne nous dénoncera pas, ce n’est pas son rôle de curé »…... On a eu beau cogner, les portes ne sont pas ouvertes. Le curé devait avoir une sacrée pétoche car il n’a pas ouvert sa porte.

En redescendant les marches, on a vu 2 hommes en civil et un en kaki. On s’est cru « foutu », mais l’un des hommes en civil nous a dit: »Bon, écoutez, Les Américains seront là demain, on va vous cacher en attendant qu’ils arrivent ». Il était optimiste. Le gars en kaki, en uniforme a mis les mains dans sa veste, et mon copain m’a dit à ce moment là » C’est foutu pour nous! C’est terminé, mais enfin, ça valait la peine de tenter le coup ». Avec les SS et tout ce qui se passait, y compris la Wehrmacht qui elle aussi a tué avec beaucoup d’entrain, on a pensé qu’ils allaient nous abattre et puis il a sorti ses mains de son blouson avec dans chacune un morceau de lard qu’il nous a donné pour manger. Le paysan qui paraissait le mieux habillé, était le maire du village, il nous a dit « Demain, les Américains arriveront, ce sera fini pour vous. Alors venez, on va vous cacher et on va vous donner à manger » Ce qu’il a fait. Il nous a caché pendant trois jours. Nous étions dans la paille, au-dessus de l’endroit ou ils avaient les bestiaux. Il nous a apporté du pain blanc, du lait chaud. Nos vêtements de « bagnard » ont été dissimulés dans le purin et après avoir reçu des vêtements usagés, nous avons regagné notre planque au premier niveau.

La guerre a commencé à être finie pour nous.

Mais nous avons connu encore trois jours difficiles…..Le matin du 3ème jour, nous dormions dans la paille quand le paysan est arrivé, en hurlant de joie: »Les Américains, les Américains », on est descendu – je ne parlais pas anglais -. J’ai sauté, j’ai eu la force de sauter dans les bras d’un soldat américain de la VIIème armée. Je l'empêchais de faire quoi que ce soit. Je me cramponnais à lui et il me répétait sans arrêt en anglais « Don’t cry little Frenchy, don’t cry - Pleure pas, petit français, pleure pas ». J’ai bien pleuré.

 Cette scène peut être retrouvée dans la série américaine de Tom Hanks et Spielberg « Band of Brothers » (« Frères d’armes »). Il est dommage que cette série ne puisse restituer 2 choses importantes dans un camp: la promiscuité et l’odeur.